Les "fêlés" aux 6 jours...comme si vous y étiez!

Publié le par calhjogging

6 jours

Le Grand Prix du Luc... ou les aventures des "fêlés" aux 6 jours,

par Jean-Charles Cailliez (JC2, dossard n°1)


Plutôt timide et réservé, à l’ombre de son cousin du Castelet, le circuit du Var avait envie pour une fois de se faire remarquer. Cela-dit, comment faire ? Accueillir un grand prix de formule 1 ou une épreuve de 500 ? Bonne idée, mais rien d’original. Proposer une course de vélo ou de roller ? Pourquoi pas ? Il fallait donc se creuser. Aussi, en ce début du mois de mai et à l’initiative du surprenant Gégé, directeur de course pour l’occasion, l’idée géniale venait de germer. Un défi incroyable allait être proposé aux plus déjantés des coureurs à pieds de la planète, les ultra-fondus comme on les appelle dans le milieu de la psychiatrie. Courir et marcher pendant 6 jours et 6 nuits non-stop ! Une nouvelle aventure dans la lignée des 6 jours d’Antibes organisés les années précédentes par la même équipe de l’Ultra French Festival au Fort Carré face à la Grande Bleue. Pour cette édition 2013, la couleur est annoncée. Un nouveau défi est lancé. Les écuries d’ultra-fondeurs seront invitées à faire rugir les moteurs sur un anneau de 2 kms, propice à la vitesse et aux performances horsnormes. L’organisation n’a pas lésiné sur les moyens. Les records doivent tomber ! Une piste de compétition sans rugosité, à l’asphalte impeccable, attendait nos semelles. Des courbes élancées sans virage trop brusque, un léger devers qu’il faudra négocier avec intelligence (la nature ne nous ayant malheureusement pas doté de roues) et un dénivelé positif de 20 mètres (presque rien sur une telle distance, mais qui à la longue risque de peser dans la balance avec l’accumulation de la fatigue). Bref, un programme ultra-copieux digne des plus beaux grands prix de sport automobile et aménagé ici pour des bolides bipèdes amateurs de sensations fortes. Ames sensibles, s’abstenir ! Arborant fièrement le numéro 1, une responsabilité qui allait m’empêcher de me reposer sur mes lauriers, voire même de me plaindre en cas de pépin, je m’installe au bord de la piste avec James, mon compagnon d’écurie, number 2 off course ! Nous plantons nos tentes l’une à côté de l’autre en guise de paddock. Tout se met en place qui nous permettra lors de la course de nous arrêter, de changer de pneumatiques, de faire refroidir la gomme quand le besoin s’en fera sentir, de graisser les suspensions à la pommade ou la vaseline et de vérifier les niveaux. Une épreuve de cette envergure se gagne aussi dans les stands. Les autres équipages installent leur campement autour du nôtre, grandes et petites tentes, haut-vents et camping-cars de toutes tailles et de toutes formes. A chacun son budget. C’est comme au Paris-Dakar. Les équipes de pros côtoient les blaireaux qui ne pourront compter que sur euxmêmes. Ceci-dit, ce sera la même galère et les mêmes émotions pour tous… de la souffrance la plus intense au plaisir le plus immense. Les « fondus volant » dans leurs drôles de baskets envahissent les abords du circuit, le transformant progressivement en un village longiligne et multicolore. Ambiance des six « 24 heures déments » ! Le Grand Prix du Luc se met en place. On a décidé de coloniser l’extérieur de la piste dans une herbe humide encore toute imbibée de la pluie qui nous a accueillis dès notre arrivée et qui a transformé le sol en éponge. Cela promet pour les nuits à venir. Les bipèdes ont une journée complète pour se préparer. C’est amplement suffisant pourrait-on penser, mais point du tout. Le temps passe trop vite dans ces moments-là. C’est déjà l’excitation dans les paddocks et tout le monde sent que le départ est imminent. L’organisation avec son équipe dynamique installe les zones de ravitaillement. On pourra faire le plein de carburant à tout moment, jours et nuits. Idem pour les aires de soins et le QG de la course où le classement en direct sera affiché à chaque tour. Laurent, le bagnard, est au petit soin dans son costume à rayures transversales. Il s’affaire d’un bout à l’autre de la piste et contrôle la mise en place des installations. Tant qu’il n'a pas son boulet à la main, c’est que le départ n’est pas sifflé. On commence à brancher les détecteurs de puces électroniques et la webcam. La planète entière pourra nous suivre sur internet. Tout est calculé au millimètre car avec la vitesse des bolides, impossible de noter leur numéro de dossard à la main quand ils passeront à chaque tour… les fanatiques en baskets ne s’arrêteront pas toujours pour la photo ! Les écrans d’ordinateurs poussent comme des champignons autour de la ligne de départ et trouvent leur place définitive. Quand tout est enfin branché, les premiers noms de coureurs apparaissent en incrustation avec leur numéro de dossard et le drapeau de leur pays. Plus d’une dizaine de nationalités a répondu à la folle invitation. Le Grand Prix du Luc sera international avec une distribution de très grande qualité. Parmi les favoris, on reconnaitra Christian, le champion du monde 2010 de multi-triathlon, Olivier le recordman de l’épreuve avec plus de 880 kms en 6 jours l’année dernière à Antibes, Bernardo le marcheur hispanique détenteur du titre et Jaroslaw le tchèque, infatigable métronome du bitume de jour comme de nuit, Christian et Mimi les deux inséparables avaleurs de kilomètres, Oscar le petit argentin à la gouille infatigable et sa compatriote Gabriela venue ici pour l’emporter en l’absence de Cristina la championne espagnole hors-catégorie (plus de 700 kms l’année dernière !), Jean-Bernard le sanglier des Ardennes 6 jours(sacré JB) capable d’enchainer les tours à tombeau ouvert où il allume ses adversaires et ceux pendant lesquels il se repose tranquillement à l’ombre des haut-vents, Richard « coeur de Lion » et Simone la doyenne avec ses 81 printemps (rien que cela !), Carlos et Aurélien les deux toulousains rarement dans le même tour, Jimmy et Christian plus souriants et détendus l’un que l’autre tout en jouant le podium, Seïgi et Toshio les deux samouraïs abonnés à l’événement, Martina l’infatigable petite machine de guerre teutonne à l’humeur germanique, Gilbert et Jean les deux vétérans dont aucune des éditions précédentes ne manque au palmarès, Toni le slovène et Jacques le wallon, Tom et sa femme Ingeborg de l’autre pays du fromage,… et puis cette année, pour une première mondiale sur pareille épreuve, la présence de Jean-Claude, non-voyant connu de tous les marathoniens de France et de Navarre. Pour l’aider dans son entreprise au-delà de l’entendement, une chaîne humaine de coureurs et marcheurs s’inscrira heure après heure pendant les 6 jours et les 6 nuits pour lui servir de guide et le maintenir sur la piste pour plus de 600 kms ! Chiens d’aveugle le temps de quelques tours au côté de cet athlète exceptionnel, chacun d’entre eux ajoutera de l’émotion pure à sa propre aventure. L’heure H approche. On demande aux pilotes de s’approcher de la ligne aux damiers noirs et blancs et de se ranger avec discipline. Pas question de faire un faux départ, synonyme d’élimination directe ! J’imagine qu’avec mon dossard d’élite, je vais me retrouver en pole position aux côtés de James. Que nenni ! Ici, il n’y a pas d’essais ou de warm-up ! On va tous démarrer ensemble et illico. C’est donc une masse informe de coureurs qui s’agglutine sur la ligne de départ. Le temps de faire une dernière photo, un dernier petit signe à la webcam et tout le monde est enfin libéré au coup du starter… Mardi, 16 heures. Alea jacta est ! Les bolides sont lâchés comme des morts de faim sur la piste déjà brulante. Le premier tour est emballé en sixième vitesse par JB suivi dans sa roue par Olivier qui ne s’en laisse pas compter. Les favoris honorent leur maillot et ça fume déjà sur le bitume ! L’adrénaline fait son effet avant même les premières sécrétions d’endorphine. Pour ma part, je m’engage prudemment pendant cette première boucle car il m’en reste encore plus de 250 à faire. Alors pas de panique ! Ménageons la mécanique ! L’année dernière, j’avais coulé une bielle à mi-course. Il faudra faire mieux cette fois-ci. Je suis parti volontairement en pneus slicks, pointure 47,5, lacets pas trop serrés et chaussettes coupées de chaque côté de la cheville pour libérer au maximum les transmissions. Ma paire de 50 attendra encore une vingtaine de tours pour entrer en piste. Une couche froide et épaisse de vaseline imbibe mes orteils et la plante de mes pieds. J’ai la climatisation embarquée et les arpions au frais ! Les chaussettes sont imprégnées elles-aussi de cette graisse qui me permet de lutter efficacement contre toutes sortes d’échauffement, contre les frottements dans les virages et la chaleur du macadam. La casquette avec saharienne est vissée sur ma tête rasée pour l’occasion. Vivement la première nuit que les Celsius se fassent plus discrets et que baissent les voyants de température. Les tours s’enchainent qui nous offrent à chaque passage un gain de 2 kms au compteur. On avale les dénivelés sans trop s’énerver. Ils nous paraitront au fur et à mesure des tours de plus en plus pentus. Impression bizarre que la piste s’endurcit. Qui donc soulève les fauxplats pour en faire de petites collines… puis de vraies montagnes en fin de course ? La première nuit arrive très vite finalement et nous nous équipons en conséquence. La température va baisser considérablement. Il ne faudra pas se refroidir en sortant de la tente. Il faudra au contraire profiter au maximum des tours nocturnes pour emmagasiner de l’énergie et rouler à faible consommation. Les kilomètres engrangés pendant cette période nécessitent moins de gazoline comparés à ceux effectués sous le cagnard. Le contrôle du niveau du réservoir est aussi important que celui des suspensions ou des gommes. La piste est éclairée par intermittence. Pas besoin de lampe frontale. C’est cela de moins à porter. J’ai juste mis quelques lumières rouges clignotantes aux mollets pour mettre de l’ambiance et distraire un peu l’oeil des coureurs dans la monotonie nocturne. Pour lutter contre l'endormissement au volant, le MP3 fait office d’autoradio. Il faut néanmoins bien choisir sa musique. Pas trop douce pour ne pas s’endormir,… pas trop rock pour ne pas s’emballer. Chaque détail compte en compétition. Au plus profond de la nuit, les premiers équipages regagnent leurs pénates pour quelques heures de repos. On en profite pour faire les premières petites réparations : crèmes à étaler, straps à changer, ampoules à « éteindre » ! Comme je ne suis pas fatigué, j’en profite pour accumuler les tours sous les étoiles. Je roule tranquille,… mais avec une attention toute particulière pour mes suspensions. L’arrivée du moindre petit problème doit être anticipée. Alerte aux ampoules et aux échauffements. Tout est sous contrôle avec mon attention en guise d’électronique embarquée. Pour l’instant, tout se passe bien. Trop bien. En passant devant les écrans de contrôle, j’ai même l’agréable surprise de lire que je suis provisoirement à la 25ème place sur 100 ! Mais que font les autres ? Suis-je le seul irraisonnable à ne pas dormir ? Ne devrais-je pas aller roupiller un peu alors que l’aube va se pointer ? Il serait plus prudent de s’accorder une petite pause. Une heure ou deux sous la tente, dans le duvet réparateur. Le temps de détendre un peu les cuisses et les mollets à l’huile régénératrice et de graisser à nouveau les roulements à orteils. Le pot de vaseline va fondre aussi vite que les tubes de crème antifrottement. Changement de chaussettes, relaçage des chaussures et ça repart de plus belle pour une dizaine de tours. Voilà 10 kms de plus dans la besace ! La course ne nous laissera que 3 ou 4 heures de sommeil par jour. Ici, quand on est fatigués, on se contente d’un petit footing de 2 ou 3 heures avant de retourner se coucher. Il faut gérer ces moments rares pendant lesquels on doit faire le plein de sommeil en un minimum de temps. Ce sont les cycles complets de sommeil qui comptent et non le temps passé sous la couette. Pour ma part, je ne dormirai que 45 minutes la première journée, une heure la deuxième et 2 ou 3 heures la troisième… ce qui me fera m’écrouler de sommeil à mi-course pour passer finalement une nuit complète de… 5 heures avant de repartir, réservoir plein et pression des chaussettes bien ajustée. Chaque jour, la direction de course nous imprime un journal personnel avec tous les messages envoyés par nos fans sur le net. Une édition le matin et l’autre le soir au moment des repas collectifs. C’est le moment des bonnes nouvelles, attendus de tous avec beaucoup d’impatience. Du contact avec le monde normal en direct live ! Chaque petite ligne d’encouragement fait son effet. Du carburant raffiné pour nos frêles carcasses. On se nourrit ainsi de l’énergie de nos supporters et ça nous booste ! A nouveau sur la piste, je dose ma vitesse et contrôle l’accumulation de kilomètres comme je peux. J’imagine mes supporters connectés sur le site de l’épreuve et qui s’enquissent de savoir où j’en suis. C’est aussi pour eux que je m’efforce de faire monter le compteur. Pas question de les décevoir comme l’année dernière où j’avais dû baisser les bras pour un problème de releveur. Paradoxe ! Cette fois-ci, je devrais bénéficier d’une plus grande expérience et d’une préparation mieux adaptée au grand fond… issue des astuces apprises suite à mon échec. Pour réussir les 12 marathons successifs, objectif que je me suis fixé, il me faudra en faire 2 par jours. Elémentaire ! Soit 85 kms par cycle circadien en 15 à 20 heures d’efforts diurnes et nocturnes. Finalement, j’en ferai 110 le premier jour, 90 le deuxième et 80 le troisième. Me voilà donc à plus de la moitié de mon menu à mi-course lorsqu’arrive la bascule. 280 kms en 72 heures. Cela me donne une petite marge avec presque 7 marathons terminés. De quoi gérer les premiers problèmes mécaniques quand ils ne tarderont pas à arriver. Les kilomètres s’additionnent lentement au fil des tours. Tous les concurrents tournent dans le même sens, celui des aiguilles d’’une montre. Pas une heure, pas une minute, pas une seconde sans qu’il y ait des maillots, des casquettes et des baskets en mouvement sur le circuit. Tout le monde est dans sa bulle. On parle à celui ou celle qui nous accompagne le temps d’un tour ou deux. On s’arrête quelques minutes au ravitaillement pour échanger avec les bénévoles qui sont, nuit et jour, à notre écoute et aux petits soins pour nous. Merci à eux ! On plaisante, on rit… finalement, on s’amuse bien. Tout ce qu’il faut pour oublier les douleurs qui apparaissent au fur et à mesure de l’épreuve. La convivialité et le partage sont une autre source d’énergie. A ne pas négliger. Effort solitaire dans l’esprit de ceux qui ne la pratiquent pas, la course à pied est au contraire une aventure collective. Et dans l’ultra-fond, c’est encore plus intense. Les participants s’encouragent continuellement, des premiers aux derniers, s’entraident, s’attendent parfois pour faire un tour ensemble. Le classement et la distance parcourue sont importants, bien sûr, mais rien ne se fait contre les autres. Même les favoris qui jouent le podium partagent ensemble leurs impressions, comme si la victoire n’était plus le seul but. C’est une grande famille qui se constitue au fil des jours. Le classement final se fera par lui-même, tout naturellement. Pas besoin de se tirer dans les roues ! Dès le deuxième jour, alors que nous sommes bercés par le train-train de la course, Gégé l’ingénieux, nous a préparé une surprise de taille. Tout simplement unique au monde ! A contre-sens de la course (soit dans le sens trigonométrique), sur l’autre moitié du circuit, celle non utilisée par les coureurs, il a décidé d’organiser un festival des plus célèbres distances pédestres : un marathon, un 6 heures, un 100 kms, un 100 miles, un 24 heures, un 48 heures, un 72 heures… en solo ou parfois même en relais. Spectacle incroyable pour nous qui tournons dans un sens que celui de croiser d’autres athlètes concentrés dans leur propre course. Nous sommes aux premières loges pour admirer leurs efforts. Nous nous encourageons mutuellement dans une ambiance que je n’avais jamais connue en 25 ans de course à pied. Merci Gégé ! Notre aventure sans fin avance toujours. Tout nous semble bizarrement normal. Les dossards tournent. Chacun d’entre nous a pris son rythme de croisière. Nous sommes imperturbables. C’est ce que l’on croit jusqu’à ce qu’un événement inattendu se produise. Quelqu’un va s’inviter à la fête et nous souffler la vedette. Le Mistral ! Alors qu’il nous avait épargné jusque-là, ce vent au caractère impétueux va monter en puissance et former au milieu de nous une mini-tornade. Impressionnante ! En l’espace d’une demi-heure, le campement va être traversé par des rafales gigantesques. Les tentes vont se gonfler au maximum. L’une d’entre elles, celle du marcheur Philippe, va s’arracher de la voiture à laquelle elle était arrimée pour décoller à la verticale de plus de 50 mètres et s’envoler dans les arbres. Elle finira par quitter le circuit pour disparaitre dans les airs de l’autre côté de l’autoroute. Spectacle incroyable que celui d’un paddock qui se volatilise alors que son pilote est sur le parcours. A événement incroyable, conditions incroyables. Il était dit que le Grand Prix du Luc allait être unique. La solidarité entre alors en jeu. L’ensemble des coureurs et bénévoles sur place se mobilise pour aider Philippe, le décoiffé, à reconstituer son campement. La course peut alors reprendre ses droits. The show must go on ! Au quatrième jour, les choses se décantent. On recense déjà près de 20 abandons essentiellement pour cause de blessures. Parmi les premiers au classement, les positions évoluent. Les deux favoris, Christian et Olivier, faiblissent tandis que les outsiders, Didier et l’autre Christian, tout comme Jimmy, continuent à imposer leur train. Bientôt, les souriants vont doubler les grimaçants. C’est classique dans ce genre de longue épreuve où tout se joue les derniers jours. Pour ma part, je viens de passer ma première nuit presque complète. Cinq heures de sommeil. C’est en très grande forme que j’aborde la seconde partie de mon périple. De manière surprenante, j’entame cette quatrième nuit avec une forme olympique (paralympique, devrais-je dire pour celles et ceux qui me voient). Les temps de course sont presqu’aussi longs que ceux de marche. Les kilomètres s’additionnent plus vite que prévu. Pourvu que cela dure ! La quatrième et cinquième journée seront un véritable plaisir. J’ai réussi à passer le cap ! L’année dernière, je boitais et marchais à ce moment de la course. Quoi qu’il arrive maintenant, je sens que je vais boucler la distance. C’est le bonheur total. Le fait de savoir que mes supporters lisent sur leur écran que j’avance me donne des ailes. Je viens de passer les 314 kms, mon record de l’an dernier. Je ferai donc mieux cette fois-ci que 7 marathons. A moi la douzaine si tout continue de la sorte. J’essaye de ne pas m’emballer car une blessure est vite arrivée. Il faut profiter du temps présent, de chaque tour qui passe, sans vouloir aller trop vite. Au quatrième jour, je dépasse les 355 kms, puis les 440 au cinquième. Plus de 10 marathons enchaînés ! C’est l’euphorie et rien ne peut plus m’arriver. Je suis dans la première moitié du classement et il ne me reste qu’un petit 24 heures à boucler. Une montagne en temps normal, mais un fétu de paille en ce dernier jour. J’ai quand même les pieds qui chauffent et la fatigue qui monte. La bonne nouvelle est que je n’ai toujours aucune ampoule alors que la presque totalité des mes adversaires souffre des pieds. Efficace la préparation chez le podologue et le massage au citron pour lequel j'avais opté cette année à la place du formol et de l’acide picrique. Acide citrique et crème au beurre de karité sont les deux nouveaux amis de la plante de mes pieds. A noter dans le livre de recettes de l’ultra-fond. Plus j’y pense, plus cette course ressemble au 24 heures du Mans ou au Bol d’Or. Il faut gérer le temps qui file et les kilomètres qui passent lentement ! Le cerveau du pilote doit faire abstraction de l’effort à fournir. Il doit ignorer la fatigue qui s’accumule. Il doit s’endurcir bien plus que les pieds et surtout ne jamais penser au temps qu’il reste à courir ou à marcher. Chaque tour est différent du précédent et ne préjuge en rien de ce que sera le suivant. On ne s’ennuie jamais et c’est tant mieux. Au diable la monotonie. Il faut avancer step by step et tourner tranquillement en alignant patiemment les boucles, une à une. Pas de panique et suivra la mécanique ! Voilà mon cinquième jour qui touche à sa fin. A 16h, il ne me restera plus qu’une dernière journée à faire. Tout va très bien… sauf peut-être une petite sensation désagréable qui commence à me chatouiller les essieux du côté gauche. Bizarre ! On dirait le début d’une petite contracture, à moins que ce ne soit tout simplement une petite douleur passagère. Au bout d’une heure, elle est toujours là. Elle s’incruste ! Je commence à m’inquiéter. Tout allait si bien… trop bien. Je m’arrête et passe la main sur le dessus du pneu à proximité de l’essieu. Je finis par comprendre. C’est le releveur… ce satané releveur ! La sensation de la douleur qui commence à monter le long du tibia et le début d’un grincement imitant celui d’un câble de vélo mal graissé qui frotte dans sa gaine me confirme le diagnostic. Je vais devoir m’organiser différemment pour les dernières 24 heures. Pas de panique. Il me reste à peu près 60 à 70 kms à faire pour réussir mon pari. A peine deux marathons. Une broutille quand on commence à être blessé si près de la fin. Je pense en être capable. J’espère juste que ma cheville ne gonflera pas trop vite et trop fort. Je suis déjà équipé en pointure 50 et c’est mon dernier train de pneumatique. Je n’ai pas emmené de 52 ou 54 ! Au pire, il me reste ma paire de sandalettes avec lesquelles je pourrais finir si mes orteils et ma cheville avaient envie de se transformer en botte. Les tours qui suivent sont beaucoup plus lents en raison de la douleur qui augmente. Je me dis qu’il me sera difficile de faire la distance restante pendant la dernière journée. Surtout à cause de la chaleur. Je n’ai plus qu’une seule solution. Il faut que je roule non-stop toute la dernière nuit… qu’elle soit blanche malgré la fatigue, de manière à engranger le plus de kilomètres. Avec le vent qui s’est à nouveau levé et la fatigue qui m’oblige à tituber dans le noir, j’ai beaucoup de mal à rester sur la piste. Elle est pourtant large. J’essaye quand même de maintenir le cap et de viser la corde. Ce serait trop bête de faire les 25 derniers tours en zigzaguant ! Seuls les tours sont comptés et non les hectomètres réellement parcourus. La dernière nuit me semble très longue. La mécanique est proche de la rupture du côté gauche. Comme je vire à droite dans chaque virage, ça passe quand même. L’année dernière, je tournais à gauche et c’est le releveur droit qui m’avait trahi. A chacun son tour ! Je sens enfin l’aube du dernier jour qui se pointe. Encore un petit marathon et j’en aurai fini de ce grand prix de fêlés. Dernier ravitaillement en équipe pour un petit déjeuner à l’ambiance particulière. Les équipages se sustentent une dernière fois et ça commence à sentir l’avoine… dans les écuries ! Les derniers tours m’entrainent dans un monde jusque-là inconnu. Le passage du 500ème kilomètre, par exemple, se fait juste devant ma tente. L’envie est grande de fêter l’occasion, mais il n’y a pas de bulles et il me reste encore 6,34 kms pour atteindre les 12 marathons. Ce n’est pas le moment de faiblir. Si près du but. Encore 3 ou 4 tours et j’aurais atteint le Graal. La mécanique est au bout du rouleau, la suspension gauche est hors-service, mais je finis grâce à l’élan à passer la ligne avec 508 kms au compteur. Douze marathons !!!!! Il me reste encore 4 heures de course. J’ai finalement terminé avec beaucoup plus d’avance que prévu. Les commissaires de course me poussent à continuer, mais je regarde ma cheville. Irraisonnable de lui en demander davantage. Mon objectif est atteint, non sans mal. Il me reste donc du temps pour reprendre mes esprits et surtout prendre une bonne douche. Je ferai le dernier tour avec l’ensemble des copains vers 16h. Cela me fera 510 kms au final. 200 de plus que l’an dernier ! Voilà qui arrive vite. Dernier tour. Plus que 30 minutes de course sur les 144 heures qui nous étaient octroyées. Je termine avec James dans le même tour. Incroyable. Nous n’avons couru ensemble que 200 kms environ.6 jours (2) Un copain de Toulon, Stéphane, nous accompagne dans ce tour d’honneur. Il a mis du Moët au frais et nous le dégustons une fois la ligne d’arrivée franchie ! On aurait pu s’en asperger comme sur les podiums de F1, mais on a préféré le boire. Original ! Après tout, nous ne sommes pas de vrais pilotes… mais juste des fêlés, des fadas comme on dit ici, qui ont eu juste l’envie de pousser un peu plus loin leurs limites. Les bulles de champagne traversent nos gosiers et finissent par exploser dans nos réservoirs. Plaisir indescriptible. Gégé nous accompagne dans la dégustation. Lui aussi a bien mérité ce moment de détente. A sa façon, il a vécu l’aboutissement d’une année de préparation avec l’angoisse de réussir cet événement hors du commun pour le plaisir des coureurs et des marcheurs. Merci à lui et à l’ensemble de son équipe de bénévoles, tout aussi fadas que nous. Tout simplement gigantesque ! L’Ultra French Festival a encore frappé. L’histoire retiendra le palmarès et les records de distance. Quant à moi, ces 6 jours passés à tourner en rond au milieu d’une bande de sympathiques allumés resteront gravés dans ma mémoire. Ce n’est pas tous les jours qu’un collectionneur de marathons s’en offre une douzaine d’affilé. Meilleur que les huîtres ! Il est temps de se reposer maintenant. J’ai les chevilles qui ont enflés… au sens propre, j’entends ! Dans les semaines et mois qui viennent, je vais me remettre à des distances plus humaines,… c’est-à-dire du marathon au 100 kms ! Ce sera bien plus raisonnable.

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J
Merci Alain, c'est vrai que depuis que je suis au CALH je m'améliore en distance ! Vivement que je vous amène sur un 100 kms...
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A
..avec 276 lignes, record du plus long article sur le blog !!!
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